Les magasins U viennent de nous gratifier d’une magnifique pub pour des poulets sans OGM et des « substances controversées ». Bien sûr, le marketing a toujours utilisé le levier du non-OGM, du bio et du naturel pour faire des ventes, mais le gros problème de cette pub ne vient pas de là. Voyez plutôt… (J’ai fait un résumé succinct de la vidéo juste en-dessous).

Petit résumé

Attractive par son esthétique de film d’animation à la Moi, Moche et Méchant, la publicité s’ouvre sur un monstre vert avec une multitude d’yeux pendants (et ses valises entre les mains) qui se réfugie dans une grotte pendant une tempête de neige. Il y rencontre un homologue violet avec qui un échange de CV s’ensuit. Le premier luron s’avère être l’incarnation des OGMs, et son compère répondant au doux nom de E621 est un exhausteur d’arôme. On apprend que l’OGM vert travaille dans les côtes de porc et autres « produits comme ça quoi »,  mais qu’il a été dégagé et qu’il quémande l’asile politique. On découvre dans le dernier plan, oh surprise, qu’il est loin d’être le seul dans ce cas là.

Pour finir on a le droit à la phrase marketing :

Supprimer 90 substances controversées de plus de 6000 produits U, c’est l’engagement des magasins U. […]

Voilà pour les 30 secondes de pub…

Commençons par le commencement.

Les OGMs, une substance controversée ?

Scientifiquement parlant, très peu si ce n’est pas du tout. Je vous renvoie vers cet excellent article de la Théière Cosmique sur le sujet pour ce qui est de la dangerosité des OGMs. En fait, la plupart des arguments présents sur la page des magasins U qui présentent des controverses sur les OGMs ont déjà été traités par la Théière Cosmique (Traductions ou articles originaux), notamment :

  • Glyphosate (ou RoundUp) et cancer : ici et ici
  • Gène Terminator, brevets, semences : c’est ici

Quand vous cherchez des articles de vulgarisation fiables et bien sourcés sur le sujet des OGM, allez voir ici.

D’ailleurs, sur la page dédiée aux OGMs sur le site des magasins U, aucune allégation n’est sourcée. Il est vaguement fait référence à des études et à des méta-analyses sans donner de nom.

Les autres substances mises en cause

Voici la liste des autres substances mises métaphoriquement à la décharge, et la page de l’action en question.

On y retrouve un peu de tout : pesticide, aspartame, glyphosate (pas en lien avec les OGMs cette fois) avec un petit détour par l’aluminium… Plein de noms qui font peur accompagnés d’illustrations de ces substances sous forme de monstres. Heureusement, et contrairement à la page sur les OGMs, de nombreuses références à des études scientifiques sont présentes.

Pour les substances les plus connues, les présentations des différentes controverses à leur sujet ont été réalisées. Passons la « controverse » réglementaire, les magasins U utilisant le fait que ces substances soit réglementées au niveau national comme argument… Une controverse peut avoir lieu quand il s’agit d’appliquer une taxe sur les produits utilisant des substances à risque (on peut comprendre la volonté de U de l’éviter), mais pas s’il s’agit d’une réglementation imposant des doses limites quand elles sont justifiées. Passons aussi l’argument du peuple (ou alerte sociétale), c’est du marketing. Il est compréhensible que les enseignes s’adaptent à la volonté de leurs clients.

Concentrons-nous plutôt sur la controverse scientifique. Deux choses peuvent être remarquées : c’est sourcé avec des études scientifiques (c’est bien) et ça présente une majorité d’arguments (et donc d’études) visant à démontrer que toutes les substances de la liste sont néfastes.

L’action de communication de U a pu être sujette au cherry-picking (ne choisir que les études qui vont dans le sens de ce qu’on veut démontrer) et à un biais de publication (les études avec un résultat négatif ont moins de chance d’être publiées). Pour certaines substances on peut même se demander si U définit « controverse » de la même façon que le commun des mortels. Typiquement, la page sur le glyphosate (on en a déjà parlé avec les OGMs) ne contient aucun argument le soutenant. Il y a pourtant de nombreuses bonnes raisons de l’utiliser, et l’impact sur l’homme et l’environnement qu’on lui attribue sont plus que contestés.

A propos du glyphosate, il existe un site très complet sur le sujet : Le glyphosate dans les faitsIl est vrai que celui-ci a été financé par le GTF, mais ce dernier se repose sur une large base d’études scientifiques. Je ne suis pas capable de juger de la validité de ces études.

(Glyphosate Task Force ou GTF),[est] un consortium de sociétés ayant conjugué leurs ressources et leurs efforts afin de renouveler l’enregistrement européen du glyphosate par une soumission conjointe

Par ailleurs, il existe un rapport de la ANSES sur la dangerosité du glyphosate. Ainsi que la deuxième partie de l’article de BunkerD sur GreenPeace et glyphosate et un autre article de la Théière Cosmique

EDIT du 15/01/2017: Sur l’aspartame il y a cet article : L’aspartame des boissons light et des sucrettes vous empoisonne-t-il ? de Science Pop

Le problème de la représentation

Les approximations faites sur les OGMs ne sont finalement pas le fond du problème dans cette publicité. Il s’agit plutôt de la représentation qui est faites des OGMs et des autres substances.

Il y a déjà un décalage entre ce qui est dit et ce qui est montré. D’un coté le ton est assez léger et nuancé, on parle de controverse, mais d’un autre coté la représentation des substances en question est incontestablement et définitivement négative et repoussante. On passe d’une substance « controversée » à un produit monstrueux qu’il faut détruire. Les affiches sont explicites.

C’est un problème car les personnes qui pensent que les OGMs sont mauvais (dans tous les sens du terme) se voient renforcés dans leur croyance, et pour ceux qui n’avaient pas d’avis il ne peuvent qu’être influencés, poussés à arrêter leur opinion sur des idées populaires erronées.

Il y a autre chose de moins évident à déceler dans la manière de représenter graphiquement les OGMs et autres substances. Il est parfaitement possible que cela n’ai pas été fait consciemment par les concepteurs de la pub, mais je vois un lien établi entre les effets des produits (souvent dans l’imaginaire collectif) et l’apparence des monstres. Les yeux multiples du monstre peut être l’accusation (totalement fausse) envers les OGMs de pouvoir faire muter toute espèce en consommant me semble l’exemple le plus évident. Ce même argument est souvent repris pour tout produit « chimique ». Rappelons au passage que TOUT est chimique.

Conclusion

Au niveau des OGMs, quand on se penche sur le discours des magasins U, on remarque que les arguments scientifiques ne sont pas valides et que pour la plupart des autres on tombe dans la rhétorique classique anti-OGM (bien souvent fallacieuse). Sur ce point U a vraiment enchaîné les erreurs, rien qu’en omettant les sources sur le sujet.

En ce qui concerne les autres substances, il y a du bon et du moins bon. Sourcer ses propos est une bonne chose, mais ne présenter qu’une seule facette des avis scientifiques sur un sujet aussi sensible et controversé en est une plus répréhensible. D’ailleurs tous ces produits ne sont pas si controversés que ça, le glyphosate par exemple.

A l’écran et sur ses affiches, le marketing de U repose essentiellement sur un décalage entre la représentation et le propos. La représentation est toute particulièrement mise en cause de part sa manière de « diaboliser » les substances en les représentant comme des monstres aux attributs hideux. Il y a aussi cette volonté de les détruire qui peut être problématique surtout quand elles ne sont pas remises en cause au niveau scientifique.

EDIT du 15/01/2017: Slate en parle aussi dans un article : Le problème avec la dernière campagne de pub des magasins U on peut y lire :

Sauf qu’en feignant de confondre controverse scientifique et panique populaire, ils ne font que recycler les stratégies des «marchands de doute».

tele

Une réflexion sur “U, les substances « controversées » et leur représentation

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